balade
forestière
et contes
i
Saule
Sorbier
Mélèze
Chêne
Hêtre
Pin
Sapin blanc
Epicéa
Sureau
Tilleul
Eglantier
Bouleau
Aubépine
Sentier pédestre – La Brévine
Une réalisation de la société d’embellissement
de La Brévine
Cette promenade se fait sous votre propre responsabilité. Nous vous rappelons que certaines baies sont toxiques. Elles sont signalées comme telles. Il est vivement recommandé d’avoir de bonnes chaussures!
SOURCES DE TRAVAIL
«Mille ans de contes sur les sentiers», Louis Espinassous
«Histoires d’arbres», Philippe Domont et Edith Montelle
Cours ADAGE (2002)
Cours HEP (2010)
Flora Helvetica, 2e Edition, Paul Haupt
Cours divers de cuisine sauvage, livres et recherches sur Internet
RECHERCHES, CONCEPTION ET RÉDACTION
Geneviève Kohler, Suzanne Arnoux, Marianne Kaenel, Carmen Richard
RECHERCHE DES ESPÈCES
Mariane Graber
CRÉATION ET MISE EN VOIX DES CONTE
Caroline Cortès www.contreboutades-et-cie.ch
CONCEPTION GRAPHIQUE ET MULTIMÉDIA
Amandine Kolly www.kombo.studio
RÉALISATION DES SUPPORTS MÉTALLIQUES
Fritz Bachmann (maréchal-forgeron)
INSTALLATION DES PANNEAUX
Robert Cerf, Jean-Pierre Borel
AVEC LE SOUTIEN DE
Un riche marchand vit dans un palais somptueux avec un jardin immense rempli d’arbres et de fleurs extraordinaires.
Dans ce jardin, il y a un saule mais le marchand trouve qu’il fait beaucoup trop d’ombre.
C’est pourquoi il décide de l’abattre et va au marché se renseigner pour trouver un bûcheron.
Là, un jeune homme l’entend: il se trouve que ce jeune homme passe souvent devant le palais, il connaît cet arbre qu’il trouve si gracieux.
Il demande alors l’autorisation de le déterrer et de le récupérer pour l’emmener chez lui, pour le planter dans son jardin.
Le marchand est parfaitement d’accord, tant qu’on l’en débarrasse.
Alors le jeune homme vient, coupe les branches trop longues, sectionne le bout des racines, met une cire spéciale pour protéger les extrémités de l’arbre et délicatement emporte le saule sur sa charrette.
Dans son petit jardin, il creuse et installe l’arbre.
Tous les jours, il lui parle, il lui déclame un poème, il lui chante un air…
Après une année, le saule n’a pas changé, le jeune homme ne manque pas de continuer à lui parler, à chanter, à le soigner…
Après deux années, des bourgeons apparaissent.
A la troisième année, ce sont des feuilles qui poussent.
Après quatre ans, le saule a forci, il est majestueux, une explosion de branches et feuilles se déploie.
Et un jour, le jeune homme trouve une femme sous le saule.
C’est un coup de foudre immédiat réciproque, ils se marient et ont un fils.
Mais voilà qu’un jour, les prêtres de la ville viennent trouver le jeune homme.
Le temple est en très mauvais état, il faut le réparer de toute urgence.
Ils lui demandent de couper son saule afin d’en faire le pilier central: ils n’ont pas trouvé d’arbre plus solide dans toute la région.
Le jeune homme est honoré qu’on lui fasse cette demande, il accepte et file chez lui annoncer la nouvelle à sa femme.
Elle ne dit mot mais elle blêmit.
Il comprend qu’elle n’est pas d’accord, alors il retourne aussitôt voir les prêtres pour se rétracter.
Hélas, c’est trop tard; les prêtres ont décidé, le saule sera abattu.
Quand le jeune homme rentre chez lui, il ne trouve ni sa femme ni son fils, quand bientôt les prêtres arrivent avec des bûcherons.
Leurs haches claquent sur le tronc qui résiste un moment puis finit par céder.
Ensuite, ils l’élaguent, ils le préparent pour l’emporter.
Mais au moment de mettre le fût dans la charrette tirée par des bœufs, il leur est impossible de le soulever.
Ils appellent les voisins, en vain, d’autres hommes du village viennent en renfort, sans davantage de succès.
C’est alors qu’un enfant fend la foule, de ses petits doigts, il attrape une branche sur le côté du tronc et à une feuille oubliée il dit:
— Allez maman, il est temps d’y aller.
Et de sa petite main d’enfant, il accompagne le saule jusqu’au temple…
(Caroline Cortès)
Il était une fois un paysan qui élevait des vaches sur un plateau tant pour leur lait que pour leurs veaux.
L’herbe y était verte et grasse et ses vaches produisaient un lait crémeux au goût de fleurs.
Pour lui, regarder ses veaux jouer et s’ébattre auprès de leur mère était un spectacle réjouissant.
Mais voilà qu’une nuit d’été, la foudre s’est abattue sur une de ses vaches portantes: elle est morte sur le coup ainsi que son veau.
Travailler avec des animaux, c’est un rude métier, entre les maladies, les naissances qui ne se passent pas toujours aisément et parfois même des bagarres entre les bêtes. Le paysan savait bien tout cela, mais perdre une vache prête à donner naissance à son veau, c’était perdre deux bêtes à la fois et il en supportait péniblement l’idée.
L’année suivante, une autre vache, portante elle aussi, subit le même sort.
Et pour la troisième année consécutive, une de plus s’est fait foudroyer.
Celle-ci, c’était sa vache préférée, une bête robuste pourtant qui avait obtenu plusieurs prix pour la qualité de ses petits, solides et fiers.
Mais que faire contre les caprices de la météo?
A partir de ce jour, le paysan n’a plus osé laisser sortir ses bêtes de peur d’en perdre d’autres.
Elles restaient donc à l’étable, n’avaient plus d’appétit, leur poil devenant terne, leur regard éteint.
Elles donnaient de moins en moins de lait et très vite, elles se sont fait gagner par la déprime.
Forcément, elles avaient besoin d’air frais, d’herbe tendre, d’espace et de soleil!
Le paysan le savait bien, mais il ne voyait pas d’autre solution pour les protéger, il craignait tellement un nouvel orage…
Dans le village voisin, il y avait une vieille femme dont la réputation de pouvoir réparer, guérir, et faire plein d’autres choses magiques rien qu’avec des plantes, avait fait le tour de la région.
Elle en connaissait parfaitement le pouvoir, et ce depuis toute petite, car sa mère le lui avait enseigné, tenant toutes ses connaissances elle-même de sa propre mère.
Dans cette famille, on se transmettait le secret des plantes de génération en génération.
On a bien recommandé les services de la vieille femme au paysan, mais il a refusé catégoriquement; pour tout dire, il prétendait que c’était une sorcière.
Et voilà que quelques mois plus tard, la femme du paysan qui était enceinte s’est trouvée sur le point de mettre au monde leur premier bébé.
C’était la nuit, quand tout à coup un orage a éclaté.
Des éclairs ont cisaillé le ciel, une pluie diluvienne s’est abattue et des coups de tonnerre se sont succédé aussi terrifiants que des coups de canon.
Les murs de la maison se sont mis à trembler et le paysan ne pouvait s’empêcher de repenser à ses vaches perdues durant des nuits d’orages.
La sage-femme est arrivée. Elle apportait, étonnamment, une branche de sorbier pleine de grappes de petits fruits couleur corail qu’elle a déposées sur la table de nuit.
Aussitôt, l’orage s’est arrêté et la pluie a cessé, tout est redevenu calme.
Le ciel s’est fait limpide et les étoiles cachées sous l’épaisse couche nuageuse sont réapparues sans tarder.
Le bébé est né facilement, tout allait bien pour la mère et l’enfant.
Le paysan a cru à un miracle comme si la sage-femme était une fée et que sa branche de sorbier était sa baguette magique.
Pour la première fois de sa vie, il a cru au pouvoir des plantes.
Les jours qui ont suivi, le paysan a planté lui-même un sorbier dans le pré où ses vaches allaient paître.
Il a laissé sortir ses vaches à nouveau comme il le faisait auparavant sans plus jamais craindre la foudre car grâce au sorbier, elles étaient enfin protégées.
Mais le paysan n’a jamais su que la sage-femme et la vieille qui connaissait les plantes n’étaient qu’une seule et même personne.
(Caroline Cortès)
Cela remonte au temps où l’univers était dirigé par le dieu Itsé.
Il vivait avec ses frères et sœurs dans son palais, mais à force de voir toujours les mêmes têtes, il commençait à s’ennuyer, il avait l’impression de tourner en rond.
Il avait besoin d’agrandir son territoire, de respirer un air neuf alors il a soufflé trois fois en l’air et ainsi il a créé la Terre. Puis il a confié un sac de graines à l’un de ses frères pour
qu’il fasse de cette Terre un immense jardin en y plantant des arbres de toutes sortes, un jardin botanique en somme.
Mais son frère, à part dormir la nuit et faire la sieste le jour, rien ne l’intéressait: il s’est contenté de jeter toutes les graines au même endroit pour retourner vite se reposer, si bien que les arbres ont poussé serrés les uns contre les autres comme des sardines.
Impossible de respirer, impossible de s’épanouir dans si peu d’espace!
Les arbres ont appelé au secours, Itsé les a entendus.
Il leur a donné le pouvoir d’aller où bon leur semblait: ils pourraient marcher, courir, voler même, mais seulement pendant 24h, après quoi ils ne pourraient plus bouger, ils s’enracineraient.
Les arbres se sont dispersés, certains se sont installés dans les champs, d’autres dans les forêts, d’autres encore dans les marais… et chacun a pris racine.
Itsé leur a offert des feuilles pour les habiller.
Mais un groupe d’arbres n’avait pas bougé du tout, car aucun n’était d’accord sur l’endroit où aller, ils ont passé leur journée à parlementer en vain.
Alors ils ont demandé 24h de plus à Itsé en promettant de trouver leur place pendant cette journée supplémentaire.
Itsé était de bonne humeur, il a accepté: 24h de plus oui, mais pas davantage.
Or, il n’y avait plus trop de choix pour s’installer, car les autres arbres avaient déjà pas mal colonisé la Terre: de la place, il en restait dans la montagne ou encore au bord de la mer.
Pour les protéger du vent des mers et du froid de la montagne, Itsé leur a offert des aiguilles qui ne les quitteraient jamais.
C’est comme cela que la Terre est devenue un immense jardin public pour les Dieux.
Itséa la plus jeune sœur d’Itsé était aussi la plus sportive, elle aimait parcourir les montagnes.
Voilà que l’hiver suivant, elle a vu un arbre différent des autres: complètement nu… plus aucune aiguille.
C’était le mélèze.
Il ne se plaignait pas, ses branches étaient comme des cheveux hirsutes.
Elle l’a questionné: où sont passées tes aiguilles?
Lui n’en savait rien, mais il lui a dit que c’était comme ça et qu’il ne pouvait rien y faire puisque maintenant qu’il avait trouvé sa place, plus aucune réclamation n’était possible.
Itséa l’a trouvé touchant cet arbre, et sportif comme elle, lui qui était allé se loger en haut des montagnes, quel courage!
C’est elle qui est allé plaider sa cause auprès d’Itsé: comme ce n’était pas juste que cet arbre admirable puisse passer ses hivers sans protection.
Itsé a consulté le dossier du mélèze: pas de casier, pas de plainte contre lui…
Effectivement il a marché bien plus que pas mal d’autres arbres qui se sont contentés de trouver un point de chute proche d’une rivière, à l’abri du vent… alors que lui n’a pas eu peur de s’exposer aux froids rigoureux de l’hiver ou au contraire à la chaleur brûlante des étés de canicule.
Le dieu s’est lui-même déplacé pour aller trouver cet arbre singulier, s’excuser… peut-être a-t-il eu les dernières aiguilles, les plus fragiles, celles du fond du sac…
Alors il a décrété qu’il en serait ainsi: si le mélèze perdait ses aiguilles en hiver, il pourrait dormir tranquille, car il en retrouverait de nouvelles au printemps qui pousseraient en bouquets, des aiguilles tendres pas piquantes du tout comme celles des arolles ou des pins, des aiguilles d’un vert délicat.
Mais avant, il se couvrirait de fleurs couleur rubis dont Itséa pourrait même faire du sucre de retour de ses promenades dans la montagne.
L’écorce du mélèze serait épaisse comme une peau d’éléphant pour braver le froid, la neige, mais aussi le soleil dont il est proche et son bois serait dur et résistant.
Et pour qu’Itséa puisse le reconnaître quand elle souhaiterait aller le voir, il aurait une forme tout à fait différente des autres de son espèce, chacun des arbres de sa famille serait unique.
C’est comme ça qu’Itséa a pu, lors de ses sorties en montagne, chaque fois retrouver son arbre préféré, le mélèze, tantôt poilu de petits bouquets d’aiguilles dressées vers le ciel, tantôt hirsute de brindilles mal peignées, tantôt porteur de petites pommes rouges puis brunes… un arbre qui, au fil des saisons, aurait une parure différente.
Bien avant l’invention des OGM qui allait, comme chacun le sait, sauver l’humanité de la misère, un pauvre paysan s’épuisait sur un misérable lopin de terre, sur lequel poussaient surtout des cailloux.
- «Que le diable m’emporte si j’arrive un jour à récolter autre chose que de la sueur!»
- «Alors mon brave, on a besoin de mon aide?»
Cette phrase malheureuse n’était bien sûr pas tombée dans l’oreille d’un sourd et le diable, en habit de bûcheron, sauta sur l’occasion.
- «Tu veux que ton lopin produise quelque chose? Que veux-tu? Des navets? Des carottes? Des pommes de terre? Ne t’inquiète donc pas, dans quelques mois tu auras de quoi nourrir ta famille durant tout l’hiver. Évidemment cela a un prix. Oh, pas grand-chose. Mettons qu’en fin d’année, lorsque tu auras fini tes récoltes, tu me cèdes ton âme, le corps ne m’intéresse pas.»
Le paysan douta, réfléchit, chercha le moyen de s’en sortir.
- «D’accord; lorsque cet arbre que tu vois là aura perdu toutes ses feuilles, tu pourras venir chercher mon âme.»
Sûr de son affaire, le diable prit congé du paysan. Et les mois passèrent. La récolte fut excellente. Mais l’automne approchait. Avec lui, les feuilles des arbres jaunissaient et peu à peu se détachaient des branches. Un matin le diable vint frapper à la porte:
- «Alors, es-tu prêt?»
- «Mais regarde, tu as de l’avance, l’arbre a encore presque toutes ses feuilles!»
Un peu vexé, mais néanmoins beau joueur, le diable lui fit un petit sourire:
- «Bien joué, mais… je suis patient.»
L’hiver passa, le froid et le vent s’installèrent sur le pays et le diable revint:
- «Et alors, tu n’auras plus d’excuses cette fois!»
- «Et bien, je suis désolé pour toi, mais regarde, il reste quelques feuilles à l’arbre.»
- «Bon, bon ça va, mais… je reviendrai.»
Et le printemps arriva. Avec lui les dernières feuilles mortes fixées aux branches se détachèrent enfin, remplacées par de jeunes feuilles vert tendre. Devant ce spectacle, le diable fou de colère, comprenant qu’il avait perdu la partie, d’un geste rageur donna un grand coup de griffe sur les feuilles naissantes.
Les feuilles de chêne, depuis, portent les stigmates de la colère du diable.
Il y a très longtemps de cela, vivait au fond d’une grotte, dans une grande forêt de hêtres aux troncs argentés, une vieille femme que l’on disait sorcière.
- «Quand le sous-bois est en fleurs, elle transforme les jeunes filles en oiseaux, disait-on aux veillées».
Un jour de mai, Véréna se promenait à l’orée du bois au bras de son amoureux.
- «Regarde ces fleurs dans le sous-bois!»
- «Prends garde d’y pénétrer! Mon oncle bûcheron dit qu’une sorcière y vit et que les jeunes filles n’en ressortent jamais.»
- «Mais regarde, je n’en cueillerai qu’une…»
Et à peine avait-elle posé la main sur l’une d’elles, qu’elle se transforma en pinson. Une main ridée apparut, prit l’oiseau et l’enferma dans une cage. Une vieille femme boiteuse s’en saisit alors et, agile comme un écureuil, grimpa au tronc d’un arbre et attacha la petite cage sur une branche haute.
Comprenant ce qui venait d’arriver, le jeune homme quitta la forêt, fit son bagage, abandonna sa maison et sa famille et partit au hasard dans le monde. Partout où il s’arrêtait, il racontait son histoire, mais personne ne le croyait. Un soir pourtant, à la table d’une auberge, un vieux meunier qui l’avait écouté, lui dit avoir entendu parler de cette sorcière:
- «Il existe un remède pour défaire cet enchantement: tu dois faire boire à ton aimée une goutte de rosée bleue.»
- «Et où est-ce que je la trouve, cette goutte?»
- «Dans le calice d’une fleur, mais je ne sais laquelle.»
Et durant des années, il parcourut le monde à la recherche de la fameuse goutte de rosée bleue.
Un matin de juin, alors qu’il avait dormi près d’une rivière, il vit dans la corolle d’une hellébore, une goutte de rosée verte.
- «Serait-ce la goutte que je cherche, se demanda-t-il?»
Une voix se fit alors entendre:
- «Rosée bleue? Oh que non, rosée verte d’hellébore redonne la raison à ceux qui l’ont perdue et l’enlève à ceux qui l’ont encore. Bois-la et tu oublieras celle qui te fait tant souffrir.»
Mais le jeune homme ne voulait pas oublier Véréna et il reprit sa quête.
Une nuit du mois d’août, épuisé, il s’assoupit au pied d’un mur. A l’aube, dans la corolle rouge d’un adonis vénéneux, il vit une goutte de rosée brillante comme un rubis:
- «Serait-ce enfin la goutte magique?»
- «Mais regarde donc où poussent ces fleurs mon garçon, près du mur d’un cimetière. Goutte de sang, goutte de mort. Cette goutte n’a aucun pouvoir pour faire ressusciter ta belle, tout juste pour la faire trépasser, hurla une chouette en allant se coucher.»
L’été arrivait à sa fin. Le jeune homme s’assoupit au pied d’un érable. Dans ses rêves, Véréna était près de lui, mais à son réveil, il était seul. A côté de lui, dans la corolle d’une véronique luisait une gouttelette bleue. L’érable frémit:
- «Mais cueille-la donc mon garçon, la rosée est éphémère… et seul l’amour parfait la gardera entière.»
Le jeune homme enveloppa la fleur d’une feuille d’érable pour que la rosée y reste et retourna à la hêtraie ensorcelée. Sept ans avaient passé. Arrivé au pied du vieux foyard, il entreprit d’en escalader le tronc lisse et argenté. Tout en haut d’une branche, l’oiseau dormait dans sa cage. Il lui fit boire la goutte de rosée. Aussitôt la cage se détacha et tomba par terre.
Véréna, libérée, redevint une jeune fille. Et les unes après les autres, toutes les cages tombèrent au sol et libérèrent leur prisonnière désenvoûtée.
Depuis ce jour, le bois de hêtre n’est plus envoûté. Mais pendant l’été, au bout des branches, d’étranges cages se forment et libèrent à l’automne de jolies graines en forme de cœur: les faines, dont se régalent les oiseaux.
Au-dessus du hameau de Vautenaivre, dans le Jura, est un endroit étrange, un chaos de rochers blancs où pousse le pin sylvestre, donnant au paysage un aspect d’estampe japonaise. On l’appelle Château-Cugny. Le château se mirait, dit-on, dans un lac aux eaux transparentes qui recouvrait toute la vallée actuelle de Goumois. La Fin des Pommerats s’avançait en presqu’île, si bien que l’étendue d’eau ressemblait à un croissant. A l’autre bout de la corne, une forteresse fière et puissante couronnait une falaise: Franquemont, dont on voit encore les ruines de nos jours.
A Franquemont vivait un seigneur farouche qui haïssait le châtelain de Cugny. Il avait un fils unique, qui promettait de devenir un chevalier aussi redouté que son père. Dans les combats singuliers, sa force et sa hardiesse étaient déjà chantées par les ménétriers.
Au cours d’un tournoi, le jeune homme aperçut, parmi toutes les dames jacassantes et effrontées, une demoiselle timide et souriante; il défendit ses couleurs. Or, cette jeune fille était la demoiselle de Cugny. Les deux adolescents se plurent aussitôt. Désormais, chaque nuit, le garçon prit l’habitude d’aller rejoindre en barque celle qu’il considérait comme sa fiancée. Hélas! Les amoureux se croient toujours seuls au monde! Le sire de Franquemont, apprenant l’existence de ces rendez-vous nocturnes, arma des bateaux et, par une chaude nuit d’août, attaqua le château ennemi. Alors que la bataille faisait rage, un orage terrible ébranla la terre. Sous le choc, le verrou qui retenait les eaux céda et le lac se vida brutalement, noyant les deux armées.
Les amoureux furent écrasés sous les décombres, mais sur leur tombe poussa un arbre rarement vu auparavant dans cette région: le pin sylvestre, symbole d’amour et de fidélité au-delà de la mort.
Dans un village des Montagnes Neuchâteloises vivait une dentellière. Elle était veuve et n’avait qu’un fils qu’elle avait élevé avec amour. En grandissant, il était devenu le meilleur morilleur et le plus habile chasseur de la région. Comme il était beau gars, plus d’une fille lui lançait des œillades. Mais il s’en moquait comme d’une guigne. Tôt couché, tôt levé, il ne songeait guère à aller veiller près d’une belle. Tout son amour allait à la chasse et il passait son temps libre à traquer le gibier dans les endroits les plus dangereux. Sa mère se désolait: elle aurait tant aimé le voir épouser une fille du village! Chaque fois qu’elle en parlait, son garçon lui répondait:
— Les femmes, ça n’amène que des embêtements. J’aime la tranquillité et le silence. Je ne veux pas m’embouêler en me mariant.
Il me faut vous dire qu’à l’orée du village demeurait dans une masure une vieille sorcière crasseuse qu’on appelait Brigitte la casserole. Elle était laide à faire trancher le lait et la méchanceté se lisait dans ses yeux chassieux. Tout le monde l’évitait, mais on la nourrissait, car on avait peur de ses sortilèges. Elle rôdait par la nature à la recherche de simples et de bestioles. L’histoire du fils de la dentellière parvint à ses oreilles et elle ricana en silence.
Par une de ces belles journées d’automne où de la poudre de soleil semble tomber des arbres, le jeune chasseur était à l’affût derrière un rocher quand il se sentit observé. Il se retourna et découvrit près de lui une ravissante demoiselle blonde comme l’or et à la peau délicate comme un pétale d’églantine.
— Que fais-tu là? demanda-t-il sans aménité.
— Je cueille des brimbelles!
— Assois-toi là et ne bouge pas! Tu vas effrayer le gibier.
Sagement, la jeune fille obéit, douce comme une biche. Le gars tira un magnifique chevreuil, le chargea sur ses épaules et rentra chez lui sans un adieu. Le lendemain, il partit dans la direction opposée. Mais à peine était-il posté qu’elle apparut, et le lendemain de même, et chaque jour, il la retrouvait. Rougissant délicieusement, elle s’excusait en disant qu’elle ramassait des champignons ou des mûres. Au début, tout fâché, il essaya de la perdre, puis il s’habitua à sa présence. Il lui arriva même de craindre qu’elle ne vînt pas. Elle restait près de lui, silencieuse, le regardant chasser de ses grands yeux admiratifs. Un jour, il voulut la prendre dans ses bras, mais elle le repoussa:
— Non! Non! Je ne peux pas!
— Marions-nous alors, dit le garçon.
— Non! Je suis liée par un vœu! Il y a onze mois, mes parents sont morts. Je leur ai promis que je n’épouserais que celui qui saurait me rapporter un lys sans tache. Mais, si d’ici un mois je ne l’ai pas trouvé, je me jetterai du haut des roches de Moron!
— C’est un jeu d’enfant, dit le gars en riant. Attends-moi là! J’en ai pour un instant!
La dentellière resta tout ébahie quand elle vit rentrer son fils si tôt et sans gibier. Et quand il lui demanda si elle avait des lys dans son jardin, elle en laissa tomber ses épingles.
— Serait-il amoureux? se demanda la pauvre femme avec un secret espoir.
Le jeune homme choisit un lys avec soin et courut vers la forêt. Mais quand la belle eut saisi la fleur, elle écarta les pétales et désigna du bout de son beau doigt fin une traînée brune qu’il n’avait pas remarquée. Désormais, chaque jour, le garçon cueillait un lys qui lui semblait immaculé, mais chaque jour une tache tantôt jaune, tantôt brune, tantôt noire, ternissait l’éclat d’un pétale. Il essaya de transporter la fleur avec précaution, sur de la mousse, dans une hotte. Rien n’y fit. Il accompagna même un jour sa mère au marché de la Tchaux, où elle allait vendre ses dentelles. Il courut tous les fleuristes pour trouver la fleur rare; l’ongle rose de la belle enfant découvrait chaque fois une trace de souillure. Le pauvret ne dormait plus, ne mangeait plus, ne chassait même plus, tout occupé par sa passion. La date fatidique arriva.
— Demain, je m’envolerai en bas de la falaise, soupira la jeune fille.
— Demain, je sauterai aussi. Je t’aime tant que je ne pourrai vivre sans toi!
Le soir, la mère s’inquiéta du chagrin de son fils.
— Si tu aimes une fille, même si c’est une étrangère, amène-la-moi demain.
— Demain, hélas, ma mère, je mourrai avec elle.
— Que me chantes-tu là?
Et le garçon raconta tout.
— Fou! Triple fou! s’écria la mère. Tu avais tant de jolies fillettes par chez nous. Et tu vas t’amouracher d’une étrangère encore plus niolue que toi! Enfin, autant demander à un amoureux d’être sage qu’à un aveugle dans quel sens la lune montre ses cornes! Allons nous promener les deux. En marchant, il nous viendra peut-être une idée.
Elle rangea son coussin, ses épingles et ses fils dans une armoire pour que le chat ne mêle pas tout, éteignit le globe, s’enveloppa dans un châle, ajusta sa coiffe et sortit au bras de son fils. Comme ils passaient près du cimetière, ils croisèrent leur voisine en larmes.
— Pauvre Marianne! s’apitoya la mère. Son petit est mort cette semaine. Cela porte bien peine de la voir ainsi. Quelle misère, tout de même! Allons nous recueillir sur la tombe de cet enfant.
Le garçon, toujours perdu dans ses pensées, suivit sa mère. Arrivé devant la tombe du bébé, il sursauta; des dizaines de lys plus blancs que la première neige fleurissaient là. Le lendemain, dès la première heure, il passa par le cimetière et courut à son rendez-vous.
— C’est la dernière fleur que je t’apporte, dit-il en riant d’espoir.
— C’est le dernier matin où nous sommes ensemble, répondit-elle tristement.
Elle était plus belle qu’une aube d’été tandis qu’elle écartait les pétales, scrutant les moindres recoins… aucune ombre, aucune poussière.
— Alors? interrogea le beau montagnon, éperdu d’amour.
— Alors, viens m’embrasser, sourit-elle.
Quand il la tint dans ses bras, la peau d’églantine si pure, si douce, si veloutée se ternit et se rida comme une pomme de reinette desséchée; les lèvres de cerise se craquelèrent et s’avancèrent en un rictus horrible; la robe de mousseline se déchira en haillons informes, en guenilles crasseuses; la chevelure de soie dorée devint crin rêche et jaunâtre comme la crinière d’un cheval. Il reconnut alors avec horreur Brigitte la casserole, Brigitte la sorcière, à qui il jetait des cailloux quand il était petit!
— Si tu n’avais pas trouvé ce lys, aujourd’hui tu serais mort! ricana-t-elle en s’envolant sur son balai de sapin. J’aurais été vengée de ce village maudit qui me déteste.
Quand il fut revenu de sa surprise, le garçon retrouva son instinct de chasseur; saisissant son fusil, il visa et tira. La sorcière atteignait la cime des sapins quand elle fut touchée. Elle tomba jusque dans le Doubs, en poussant un hurlement qui se répercuta sinistrement sur les rochers de Moron. Le balai resta accroché au sommet d’un arbre.
Très triste, le jeune homme rentra à la maison. Sa mère ne lui posa aucune question. Cependant elle se sentit soulagée quand, quelque temps plus tard, il suivit ses compagnons d’âge aux veillées pour courtiser les filles.
En vous promenant dans les forêts du Jura, regardez le sommet des plus vieux sapins. Vous y verrez peut-être le balai de la sorcière, la «covasse de la casserode».
Aux temps anciens, quand les hauts plateaux jurassiens n’étaient couverts que de pâturages herbus, habités par les chamois, les chevreuils et les sangliers, la porte de l’Enfer s’ouvrait au fond du Noir Emposieu, une doline insondable. Si vous vous étiez approchés, alors, de la porte qui en fermait l’accès, vous auriez entendu les imprécations du Diable qui se mêlaient aux hurlements des damnés. Et un vacarme bien plus épouvantable s’ajoutait à ce charivari: une nuée de diablotins, les enfants de Satan se chamaillaient, se pinçaient, se battaient, criant comme de beaux diables.
Un jour, le Diable n’y tint plus:
– Puisque vous ne voulez pas vous calmer, je vous envoie sur la terre. Débrouillez-vous et que je ne vous entende plus!
Il frappa trois fois le sol de sa fourche et aussitôt les milliers de diablotins s’envolèrent vers le ciel, puis retombèrent en grêlons noirs, rouges et verts dans les grasses pâtures. Ils se dispersèrent en piaillant, tout heureux de découvrir la lumière du jour et de jouir de la douceur du soleil. Mais la faim les eut bientôt rassemblés en une troupe bruyante:
– Papa! Papa! s’égosillaient-ils. Papa! viens vite!
Leurs cris stridents atteignirent l’oreille paternelle.
Il frappa trois fois le sol de sa fourche et s’envola vers ses enfants.
– Papa! Papa! Nous avons faim! Nous avons soif! Nous avons chaud!
– Je dois inventer quelque chose pour les satisfaire, pensa le Diable, en se grattant l’oreille droite, puis l’oreille gauche.
Et une idée jaillit. De sa grande fourche, il frappa trois fois le sol, d’où s’élevèrent des fraisiers et des framboisiers chargés de baies, des coudriers croulant sous les noisettes, des sureaux noirs d’ombelles, des sorbiers rouges de grappes juteuses. Les diablotins se ruèrent sur ces délices et leur père retourna dans son noir empire, espérant bien ne plus être dérangé.
Hélas! Les chamois et les chevreuils eurent tôt fait de se régaler des feuilles bien fraîches et des fruits sucrés. Les sangliers, eux, déterrèrent les racines savoureuses.
– Papa! Papa! hurlèrent derechef les diablotins.
– Encore! grogna le Diable, dérangé au mitan d’une sieste fabuleuse.
Il frappa trois fois le sol de sa grande fourche et s’envola vers la terre.
– Quoi encore? demanda-t-il
– Papa! Papa! Les bêtes ont tout mangé! Nous avons faim! Nous avons soif! Nous avons chaud!
– Je dois trouver quelque chose qui résiste à la gourmandise de ces animaux, pensa le Diable.
De sa grande fourche, il frappa trois fois le sol, d’où jaillirent des hêtres, des frênes et des érables, tous les beaux feuillus qui ornent nos montagnes.
Les diablotins construisirent des cabanes dans les branches et s’arrangèrent des litières avec des feuilles. Ils firent provision de noisettes et de faines. Qu’il pleuve ou que le soleil darde ses plus chauds rayons, ils s’abritaient sans peine.
Les mois se succédèrent et, peu à peu, les feuilles virèrent au jaune, au rouge, au brun. Fous de joie, les diablotins croyaient vivre dans un palais d’or. Quand le vent d’automne soufflait, ils se divertissaient à poursuivre les feuilles tourbillonnantes, à se cacher dans les gros tas bruissants. Les averses les trempaient, mais ils pouvaient encore trouver refuge dans leurs cabanes. Un matin, après une nuit glaciale, ils jouèrent avec les petits papillons blancs qui tombaient du ciel. Plus tard, ils inventèrent les batailles de boules de neige, mais le cœur n’y était plus. Leurs doigts griffus s’engourdissaient et ils tremblaient dans leur mince peau de diable. Les diablotins noirs devinrent gris. Les rouges virèrent au rose et les verts tournèrent au bleu. Des voix chevrotantes supplièrent:
– Papa! Papa!
Le Diable, qui somnolait comme un bienheureux dans l’ardente chaleur de son enfer, s’inquiéta:
– Ce sont bien mes enfants qui m’appellent! Quelles voix étranges! Seraient-ils malades?
Il frappa trois fois le sol de sa grande fourche et s’envola vers ses diablotins chéris. En découvrant leur état lamentable, il réfléchit si fort que ses cornes en fumaient.
– Il faut que j’invente un arbre qui gardera ses fruits en toutes saisons, qui ne perdra pas ses feuilles et qui n’attirera pas la convoitise des animaux.
Et c’est ainsi qu’il inventa l’épicéa. Depuis ce jour, nos hauts plateaux et nos monts sont couverts de noires forêts, éclaircies au printemps par le feuillage tendre des hêtres, enflammées à l’automne par l’incendie des érables.
Un petit garçon fort enrhumé est au lit. Sa mère lui prépare une bonne tisane de fleurs de sureau pour le faire transpirer. Au moment où elle pose la théière sur la table de chevet, apparaît le vieil homme de la maison. Dès qu’il l’aperçoit, l’enfant crie:
– Une histoire, une histoire; mère assure que tout ce que vous regardez peut devenir une
histoire.
– Oui, répond le vieux, mais il faut attendre qu’un récit me frappe le front.
– Est-ce que cela va frapper bientôt? demande le gamin, les yeux écarquillés.
– Je crois qu’il est là répond le vieil homme. Regarde bien la théière, le couvercle se soulève, vois-tu le sureau qui sort de la théière. Regarde toutes ces fleurs qui garnissent la chambre et cette aimable femme qui se balance dans le buisson.
– Qui est-ce? demande le garçon.
– Chez nous on l’appelle la Fée du sureau.
– Tu vois petit, il y a fort longtemps, juste avant de partir à la guerre, un très jeune homme avait demandé en mariage sa promise dans le jardin de notre ferme. La jeune femme avait alors planté devant la maison un petit sureau qu’elle arrosait tous les jours pour porter chance à son fiancé. Le jeune homme est revenu, le mariage a été béni devant le sureau. Plus tard ils ont mis un banc au pied du sureau et tous les événements importants de leur vie ont été fêtés là. Le petit garçon qui avait bien écouté l’histoire dit:
– Mais ce n’est pas un conte!
– Et si nous demandions l’avis de la Fée du sureau? Réponds le vieil homme.
La Fée, installée sur la théière, regarda le petit garçon avec douceur et lui dit:
– Non ce n’était pas un conte, mais n’oublie jamais que c’est de la réalité que naissent les plus belles histoires.
La Fée prend alors le petit garçon dans ses bras, l’emporte à l’intérieur du sureau. Bientôt ils sortent du buisson et entreprennent un merveilleux voyage. Ils sortent du village, ils filent sur un coursier rapide, ils partent loin… très loin.
Enfin de retour ils arrivent au pied du sureau devant la ferme.
– Avant de partir me diras-tu ton nom belle dame?
– On m’appelle la Fée du sureau, mais mon vrai nom c’est Souvenir!
La Fée fait alors un signe de la tête… et… dans son lit, le petit garçon se réveille. Sur la table la théière fume encore, mais le sureau et la Fée ont disparu.
– Oh maman, j’ai fait un merveilleux voyage. J’ai été loin, très loin dans des pays chauds.
La mère sourit:
– Cela ne m’étonne pas, avec deux tasses de tisane de sureau on va bien vite dans les pays chauds.
Elle borde son fils, l’embrasse. L’enfant ferme les yeux pour aller, peut-être, retrouver la Fée du sureau…
Jupiter eut envie, un jour, de faire un tour incognito avec Mercure, un peu en bas sur la Terre, là où dormaient les cœurs de mille maisons.
Et ces cœurs roupillaient ferme, car aucun n’ouvre sa porte pour recevoir ces étrangers que personne ne connait et qui, d’abord, ne sont pas trop de chez nous. Partout on tire le verrou dans le mauvais sens. Silence, on dort!
Pourtant, à l’écart, seule et fragile, une cabane de roseaux abrite deux vieux. Ils ont fait leur vie depuis l’enfance ensemble par tous les vents et tous les soleils, tranquillement, pauvres et amoureux pour la vie. Philémon et Baucis filent simplement l’amour quotidien.
La porte n’est pas fermée. Les dieux baissent la tête et entrent.
Le vieux offre aux voyageurs un siège sur lequel la vieille pose un tissu grossier. Puis elle écarte les cendres encore tièdes, ranime le feu et en fait jaillir la flamme d’un souffle que l’âge rend fragile. Elle accroche dessus le chaudron où l’eau commence vite à chanter. Philémon est allé chercher ses légumes au potager. Elle, les épluche. D’une solive noire, lui, décroche le dos enfumé d’un porc et y taille une longue tranche fine qu’elle plonge dans l’eau bouillante pour l’attendrir.
Pendant que ça cuit, on s’affaire discrètement. Baucis remplit un baquet d’eau chaude pour laver leurs pieds fatigués. Puis elle leur arrange, sur un lit en bois de saule, une couche d’algues du fleuve recouverte d’un tapis qu’elle n’y étend que les jours de fête.
Elle pose, quand c’est prêt, sur des plats de terre, des baies de Minerve, des cornouilles d’automne conservées dans la saumure, des endives, du raifort, du lait pressé en fromage, des œufs retournés sous la cendre tiède. Philémon apporte un cratère et des coupes dont les flancs sont enduits de cire dorée. Arrivent les mets chauds. On apporte le vin, des noix, des figues fraîches, des dattes moelleuses et ridées, des prunes embrumées, des pommes, du raisin cueilli à l’instant des vignes grimpantes aux feuilles sanguines. Au centre, un rayon de miel blanc, et là-dessus, un sourire heureux.
Cependant, ces deux, vigilants, s’aperçoivent bientôt que le cratère se remplit souvent et que le vin remonte de lui-même au fur et à mesure qu’on y boit. Ils s’alarment, s’excusent de leur piètre repas. Ils n’ont qu’une oie, gardienne de leur foyer. Ils courent après pour l’immoler à leurs hôtes, qu’ils ont reconnus. L’oie cavale, leur échappe. Elle finit par se réfugier contre les dieux qui défendent de sacrifier la bête.
«Maintenant, quittez votre demeure et suivez-nous sur le sommet de la montagne. Ceux d’en bas subiront le châtiment que mérite leur impiété.»
Ainsi les dieux tonnent leur courroux, car ils se courroucent terriblement de la petitesse des cœurs. Les deux vieux obéissent et grimpent à grands efforts. Il leur reste à parcourir la distance d’une flèche quand ils se retournent et voient qu’un lac a tout englouti. Seule leur cabane est encore debout, et le temps qu’ils s’en étonnent, elle se change en un temple à colonnes, toit doré, dalles de marbre.
«Maintenant, que souhaitez-vous?»
Les vieux, un instant, se concertent.
«Être les gardiens de votre Temple. Et puis, comme nous avons passé notre vie côte à côte dans une bonne entente, que la même heure nous emporte tous deux sans que nous ayons à nous mettre au tombeau l’un sans l’autre.
— Qu’il en soit ainsi!»
Ainsi, ils gardèrent longtemps ensemble le Temple.
Puis, un jour qu’ils étaient là courbés, chenus devant les marches, à raconter encore et toujours leur histoire, Baucis et Philémon se couvrirent de feuilles. Philémon vit des feuilles recouvrirent Baucis. Déjà une cime couronnait leurs têtes, leurs visages. Encore un peu de temps, autant qu’ils purent, ils se firent leurs adieux en même temps. Leurs bouches disparurent sous les tiges qui les enveloppèrent et devinrent troncs voisins, lui chêne, elle tilleul, qui donnent encore et pour longtemps de l’ombre à ceux qui savent les trouver, paraît-il.
Il y a bien longtemps, quand le monde était très jeune et que les hommes n’avaient pas encore émergé, aucune fleur n’égayait la prairie. Seuls y poussaient des herbes et des buissons gris-vert.
Mère Terre était bien triste, car sa robe manquait de relief et de couleurs. Elle avait tant de fleurs dans le cœur: des bleues comme le ciel, des blanches comme la neige, des jaunes comme le soleil brillant de midi, des fleurs rose tendre comme la naissance de l’aube un jour de printemps. Toutes, elle les portait en elle, mais aucune ne venait fleurir sa terne robe grise.
Comprenant sa tristesse, une petite fleur décide de prendre place sur sa robe afin de la rendre plus belle. Elle entreprend le long chemin dans les couloirs sombres et humides du ventre de la terre et s’installe sur la prairie. Mais lorsque le Démon du Vent l’aperçoit, il se met à gronder:
«Je ne veux pas cette jolie fleur sur mon terrain de jeux».
Hurlant et rugissant il se précipite sur elle et souffle sa flamme de vie. Mais l’esprit de la petite fleur regagne bien vite le cœur de la terre.
D’autres fleurs, courageuses, sortent à leur tour, mais le Démon du Vent, déchaîné les tue l’une après l’autre.
Vient le tour de la malicieuse Églantine, rose sauvage des prairies. Courageusement elle se glisse dans les couloirs sombres et humides du centre de la Terre. Elle s’installe confortablement sur la prairie, arrange sa robe, s’appuie contre un vieux buisson content de lui faire une petite place, s’accroche à ses branches avec ses multiples épines et attend. Le Démon du Vent aperçoit bientôt l’églantine et se précipite sur elle en hurlant. «Elle est bien jolie mais je ne veux pas d’elle sur mon terrain de jeux».
Il s’élance, grondant, soufflant de violentes bourrasques. Églantine s’accroche au vieux buisson, elle frissonne et très vite son parfum subtil embaume l’air et atteint le Démon du Vent. Il recule, il revient doucement, il s’enroule dans ce voile parfumé.
«Son parfum est doux, je ne peux ôter la vie à une si jolie personne qui sent si bon. Il faut qu’elle reste ici, avec moi. Il faut que j’adoucisse ma voix, que je lui susurre de douces chansons. Il ne faut pas que je l’effraye avec mon terrible vacarme».
Et le Démon du Vent se change en Zéphyr. Il fait sa cour à l’églantine. Il envoie de douces brises sur la prairie. Il fredonne de jolies chansons. Il a cessé d’être un Démon!
Alors Églantine appelle toutes les autres fleurs, qui à leur tour font le voyage pour venir habiller la prairie… les bleues… les blanches… les jaunes… les roses…
Et c’est ainsi que grâce à la malicieuse et courageuse églantine, la Terre est désormais habillée de si belles couleurs.
Il y a bien longtemps, un jeune paysan fanait dans une prairie. Le ciel était bleu, mais les mouches piquaient. Vers le milieu de l’après-midi, des nuages noirs annoncèrent l’orage. Le jeune homme se hâta de terminer son ouvrage. Comme il rentrait chez lui, il découvrit un étranger endormi au pied d’un bouleau. Le tonnerre grondait, menaçant. Des éclairs zébraient le ciel.
— Si je le laisse dormir, il va être trempé comme une soupe.
Il secoua le dormeur.
— Monsieur, Monsieur! Réveillez-vous! Il va pleuvoir!
L’étranger s’éveilla en sursaut et pâlit en voyant le ciel sombre. Il fouilla ses poches, pour chercher une récompense. Mais elles étaient vides. Il dit alors:
— Un jour, je vous remercierai de votre amabilité, jeune homme. Souvenez-vous bien de ce que je vais vous dire. Vous allez vous engager et partir au combat loin de chez vous. Un jour, vous aurez l’ennui du pays. A ce moment, levez les yeux, et vous verrez à quelques pas de vous un bouleau tout rabougri. Frappez trois fois son tronc du plat de votre main en demandant: «le tortu est-il chez lui?» Vous verrez ce qui arrivera.
Ceci dit, l’étranger s’éloigna rapidement, relevant les épaules sous les premières gouttes.
Le paysan regagna sa ferme et oublia son étrange aventure.
Quelque temps après, il s’engagea dans un régiment de cavalerie. Un soir, alors qu’il était cantonné au nord de la Finlande, il fut chargé d’aller panser les chevaux, tandis que ses camarades étaient à la taverne et faisaient la fête. Notre homme sentit soudain un violent désir de revoir son pays, un désir tel qu’il n’en avait jamais éprouvé auparavant. Des larmes lui montèrent aux yeux au souvenir de ses parents, de ses amis. Alors, il se rappela les paroles de l’étranger, un soir d’été, quand l’orage faisait rage. Il regarda autour de lui et, dans les dernières lueurs de crépuscule, le tronc lumineux d’un bouleau tout rabougri, tout tordu, attira son attention. Il s’approcha de l’arbre et, plaisantant à demi, il le frappa trois fois du plat de sa main, disant: «Le tortu est-il chez lui?»
A peine avait-il prononcé ces mots que l’étranger apparut devant lui.
— Je suis content de vous revoir. J’avais peur que vous ne m’ayez oublié. Vous avez le mal du pays, n’est-ce pas?
Le soldat hocha la tête. Alors l’homme appela:
— Enfants, qui de vous est le plus rapide?
Une voix venant de l’arbre répondit:
— Père, je peux courir comme une poule d’eau.
— J’ai besoin d’un messager plus rapide, aujourd’hui.
Une autre voix cria:
— Père, je peux courir comme le vent.
— J’ai besoin d’un messager plus rapide encore, aujourd’hui.
Une troisième voix dit:
— Père, je peux courir comme la pensée de l’homme.
— Voilà ce que mon cœur désire. Fils, remplis un sac d’or. Emporte-le… ainsi que mon ami et bienfaiteur. Emporte-le dans sa demeure.
Puis il saisit le chapeau du soldat et cria:
— Le chapeau de l’homme! Et l’homme à la maison!
Aussitôt, le soldat sentit son chapeau qui s’envolait de sa tête, et, en un instant, il se retrouva dans la salle voûtée de sa maison, vêtu des vêtements confortables qu’il portait quand il était paysan. Un sac rempli de pièces d’or était posé à ses pieds.
Et que se passa-t-il dans son régiment? Une chose étrange: ses camarades voyaient toujours son double, comme s’il n’était jamais parti. A l’appel et à la revue, il répondait toujours présent. Et ainsi jusqu’à la fin de son service.
Il était une fois un veuf qui avait une fille, une très jolie petite fille, et douce et gentille, plus encore. Alors, pensant bien faire, pour l’éducation de la petite, il décida de se remarier. Seulement, sa deuxième femme avait déjà une fille, aussi laide et méchante que la sienne était belle et aimable. L’homme était commandant sur un navire, il partait souvent en mer, parfois pour très longtemps.
Plus le temps passait, plus sa fille grandissait en âge et en beauté, et plus le temps passait, plus la marâtre la haïssait, elle ne s’occupait que de sa propre fille qui devenait plus laide encore et plus méchante…
Un jour, tandis que son mari était parti sur la mer, la marâtre dit à sa belle-fille de venir avec elle cueillir des fleurs dans la forêt, loin dans la forêt, au plus profond de la forêt. Là, elles trouvèrent une aubépine en fleurs, si vieille et si grande qu’on aurait dit un arbre. La jeune fille se mit à cueillir des branches fleuries, en prenant bien garde aux épines…
quand soudain, la marâtre arriva par-derrière, brandissant une hache et, d’un coup, à travers l’aubépine, elle lui trancha les deux mains.
C’est ainsi que la belle et douce devint la fille aux mains coupées.
Ensuite sa belle-mère la fit monter dans l’arbre et la laissa là, incapable de redescendre toute seule, puisqu’elle n’avait plus de mains.
La marâtre redescendit de l’aubépine, mais, ce faisant, elle se planta une épine dans le genou. C’est mauvais ces épines, c’est du bois et c’est pointu. Alors, du haut de l’arbre, la fille aux mains coupées dit à sa méchante belle-mère:
— Cette épine, cette épine d’aubépine, ne ressortira que par mes mains…
La vieille partit en courant, en abandonnant la fille aux mains coupées. Elle pleurait maintenant, elle avait honte, elle regrettait, mais c’était trop tard. Elle l’abandonnait là, les bêtes sauvages finiraient par la manger. Elle courait toujours et cette épine dans le genou lui faisait un mal terrible.
En rentrant chez elle, elle dut se coucher, son genou enflait, et l’épine d’aubépine, les remords aussi, sans doute, lui causaient une grande douleur. Personne ne put lui enlever cette épine, personne. Elle était couchée là, à souffrir mille morts avec cette jambe. Et elle se rappelait, oui, elle se rappelait les paroles de sa belle-fille: «Cette épine, cette épine d’aubépine, ne ressortira que par mes mains!»
Quand le commandant fut rentré, il demanda où était sa fille, et la vieille raconta qu’elle était partie. Le père l’a cherchée, il a demandé partout… rien. Alors il s’est dit qu’elle était vraiment partie, ou bien qu’elle était morte et, découragé, il a arrêté de la chercher.
Sa femme, elle, était toujours là, avec son épine dans le genou, et cette épine grandissait, grandissait, ça faisait comme un petit pied d’aubépine maintenant…
Pendant ce temps, au fond des bois, la fille aux mains coupées était sur le point de mourir de faim sur son aubépine. Elle ne pouvait pas descendre et elle se voyait déjà dévorée par les bêtes sauvages.
Mais voilà qu’une pie vint se poser sur l’aubépine avec son joli costume noir et blanc. Dans son bec elle tenait un joli morceau de pain. Elle s’approcha de la jeune fille et lui mit le bout de pain dans la bouche.
La fille aux mains coupées était sauvée.
Tous les jours, la pie venait lui porter à manger; c’était devenu sa mère nourrice. Seulement la pauvre fille s’ennuyait, toute seule sur son aubépine au fond des bois. Il y avait bien la pie, sa mère nourrice, mais ça ne suffisait pas. Alors, pour se désennuyer, la fille aux mains coupées chantait toute la journée.
C’est alors qu’un soldat en permission, qui chassait dans les parages, entendit chanter dans le bois. C’était si joli, si joli, qu’il voulut voir d’où venait cette chanson. Guidé par le chant, il est arrivé sous l’arbre d’aubépine. Il y avait cette grande aubépine, toute fleurie, et au milieu cette chanson. Il est monté dans l’arbre et, là, il a trouvé la fille aux mains coupées. Elle n’avait plus de mains, mais elle était plus belle encore, si c’est possible.
Alors, dans l’aubépine, elle lui a tout raconté, tout, sans oublier la pie, la mère nourrice, qui était là.
En faisant bien attention, la portant sur son dos, le soldat a réussi à la faire descendre pour la ramener chez lui.
La pie, sur l’aubépine, les regardait partir, et la jeune fille se retournait de temps en temps pour la voir.
Lorsqu’ils arrivèrent à la maison du soldat, il appela sa mère:
— Regarde, Maman, cette pauvre fille aux mains coupées qui n’a plus de famille. On va la prendre à la maison, on s’occupera d’elle. La maman du soldat était tout attendrie, elle la trouvait si jolie… Alors, quand son fils a dû repartir à la guerre, elle, la mère, s’occupa de la fille aux mains coupées. Mais quand le fils revint et annonça son intention d’épouser la jeune fille, alors là, ça a été terrible. La mère ne voulait pas qu’il épouse une fille aux mains coupées, une fille qui n’avait pas de famille. Mais comme ils s’aimaient tous les deux, le soldat et la fille aux mains coupées, ils se sont mariés quand même, contre l’avis de la mère qui s’est mis à détester sa belle-fille en secret. Oh, par-devant, elle était tout sourire, charmante et tout, mais par-derrière…
Lorsque le garçon est reparti à la guerre, la fille aux mains coupées était enceinte. Les mois passèrent et elle accoucha de deux bébés, un garçon et une fille, tout ensemble, jolis comme des cœurs.
La vieille proposa d’écrire à son fils, pour lui dire qu’il avait deux beaux bébés, puisque sa belle-fille ne pouvait pas écrire, avec ses mains coupées. Mais voilà ce que disait sa lettre: «La fille aux mains coupées a accouché d’un chiot et d’un veau; le chiot aboie tout le temps et le veau brame tout le temps. Qu’est-ce que je dois faire?»
En réponse, elle reçut de son fils ce message: «Qu’ils soient chiots, qu’ils soient veaux, gardez les enfants, gardez la mère».
Ayant pris soin de remplacer juste deux mots, elle montra la lettre du soldat à sa belle-fille: «Qu’ils soient chiots, qu’ils soient veaux, tuez les enfants, tuez la mère».
Devant le désarroi de la jeune femme, elle s’empressa d’ajouter:
— Je ne vous tuerai pas, je vais vous emmener dans la forêt, mais vous ne devrez jamais, jamais, en sortir.
La fille aux mains coupées pleurait pour ses enfants, elle ne comprenait pas, elle promit à la vieille de lui obéir.
Alors la vieille lui mit une hotte sur le dos, avec les bébés dedans et ils sont partis dans la forêt.
Seule avec ses enfants, la fille aux mains coupées commença à souffrir de la soif. Il y avait bien une rivière, là, mais elle ne savait pas comment faire. Si elle se penchait, les enfants glissaient de la hotte et tombaient dans la rivière, sans qu’elle puisse les rattraper; et si elle ne se penchait pas pour boire, elle mourait de soif et les bébés avec.
Finalement, au bout de trois jours, elle tente de boire… et plouf! le garçon glisse de la hotte dans la rivière. Mais une belle dame, assise au bord de l’eau, la regarde et lui dit:
— Trempe ton bras dans la rivière.
Elle trempe son bras et voilà qu’une main apparaît, et elle peut rattraper son garçon et le sauver. Mais en se penchant pour attraper le garçon, c’est la petite fille qui tombe à l’eau… Alors la belle dame dit à la fille aux mains coupées:
— Trempe ton bras dans la rivière.
Elle trempe son autre bras et une deuxième main apparaît et elle rattrape sa petite fille qui se noyait.
La belle dame, la fée, les avait installés dans une grotte, au fond de la forêt. Et la pie, la mère nourrice, était revenue.
Elle leur amenait à manger et elle s’occupait des petits.
De son côté, la vieille avait fait faire un cercueil avec une grosse bûche dedans et elle l’avait fait porter en terre au cimetière, disant que les petits étaient morts et que la mère, perdue de chagrin. N’avait pu leur survivre. Quand le soldat revint de la guerre, il écouta son histoire et la crut. Après avoir beaucoup pleuré, bien des années plus tard, pour surmonter sa mélancolie, il repartit chasser dans la forêt.
Un jour, au plus profond des bois, il trouva deux enfants accompagnés d’une pie. Il fut très étonné de voir là deux enfants, surtout que leurs petits visages si jolis, lui rappelaient…
— Que faites-vous là, les enfants?
— Nous, on cherche des champignons et à manger pour notre mère. Et c’est mère nourrice, la pie, qui s’occupe de nous.
L’homme était de plus en plus intrigué.
— Et vous m’amèneriez à votre mère, les enfants?
Et ils l’amenèrent à la grotte, avec la pie qui les suivait d’arbre en arbre.
Quand il vit leur maman… il était très ému, elle ressemblait tellement à sa femme, mais elle avait des mains. Troublé, il se mit à raconter à cette belle jeune femme toute son histoire.
— Oh, j’avais une épouse comme vous, qui vous ressemblait, mais elle avait les mains coupées, elle est morte avec ses deux enfants, ma mère me l’a dit.
Alors, la jeune femme se met à pleurer, elle lui tombe dans les bras et, à son tour, lui raconte tout. Les enfants reconnaissent leur père et pleurent de joie. Et lui, le soldat, pleure aussi toutes les larmes de son cœur. Sa femme est vivante et elle a des mains et ses enfants sont jolis comme des cœurs.
Ils sont rentrés à la maison et il a enfermé sa mauvaise mère dans un souterrain.
Plus tard, la fille aux mains retrouvées a voulu revoir la maison de son père.
L’épine plantée dans le genou de sa marâtre était devenue un arbre qui sortait par le toit. C’était le printemps, ça faisait joli cette aubépine, tout en fleurs, qui dépassait au-dessus du toit. Cachée sous un déguisement, la jeune femme s’approche de son père et lui demande:
— Je cherche des herbes, pourriez-vous m’aider? Je suis docteur d’épines, j’enlève les épines d’aubépines.
— Quelle chance, il faut que vous veniez voir ma femme, regardez cette épine qui dépasse du toit, elle est plantée depuis des années dans le genou de ma pauvre épouse.
La marâtre souffrait depuis tant d’années avec cette épine dans le genou qu’elle avait eu le temps de regretter son crime, de le regretter tant et tant.
Elle voit la jeune femme qui s’avance et lui dit, résignée:
— Oh! ce n’est pas la peine de vous fatiguer, je mourrai avec cette souffrance avec cette épine dans le genou. Ma belle-fille l’a dit: «Cette épine, cette épine d’aubépine ne ressortira que par mes mains…» et ma belle-fille a eu les mains coupées, elle est morte maintenant, mangée par les bêtes sauvages. Et je l’ai tant regrettée! Ce n’est pas la peine d’essayer, non, ce n’est pas la peine.
— Quand même, répond la jeune femme, quand même, on va essayer.
Elle s’approche de l’épine et elle pose ses mains sur le genou en disant:
— Cette épine, cette épine d’aubépine, sortira par mes mains.
Et l’épine est sortie toute seule. La belle-mère était guérie, elle avait compris:
— Viens vite, ta fille est revenue, je suis guérie! crie-t-elle à son mari.
On raconte qu’ils sont tous venus habiter dans la maison du soldat, ils ont même fini par délivrer la vieille du souterrain. Et la pie, la mère nourrice, a fait son nid dans le jardin sûrement dans une aubépine…